Mère & fils

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Préambule

C’est l’histoire de toutes les mères. C’est l’histoire de tous les fils. C’est l’histoire d’un lien invisible qui se noue, se dénoue, s’effiloche, s’embrouille, et se transforme jusqu’au détachement ultime. Un amour complexe, puissant, délicat, ambivalent que ce projet met en photos et en mots. 

Pour commencer, j’ai constitué un chœur des mères. Des mères habitant au Bourget, à Montreuil, au Blanc-Mesnil, à Rosny-sous-Bois, au Pré-Saint-Gervais, à Noisy-le-Sec, à Pantin et à Paris, qui ont accepté de poser avec leur fils âgé de 16 à 22 ans. Et; à travers des questions que je leur posais ensemble et séparément, je leur ai demandé de se parler. C’était l’enjeux. Provoquer un dialogue inédit entre les générations. Les écouter se confier avec pudeur et sensibilité sur la manière dont ils voyaient leur histoire, la parentalité et la filiation. A chaque famille, sa manière d’être et de répondre. Qu’est-ce qu’être une mère ? Qu’est-ce qu’être un fils ? Comment ne rien regretter ?

Prolongeant les paroles échangées, chaque photo témoigne au final de ce lien singulier tissé au gré des orages et des éclaircies. Les regards se cherchent, se fuient, se jettent dans la même direction ou à l’opposé. Les corps s’effleurent, se touchent, se mesurent, s’évitent. L’ensemble forme une vingtaine de portraits, grandeur nature ou presque, pour inviter à la rencontre. Un cercle de femmes, qui fait échos à la première partie autobiographique, et la porte, la dépasse, rappelant en creux et en couleurs qu’il y a mille manières d’être mère et fils…

Exposition à la galerie La Capsule, Le Bourget, mars-avril 2023.

Extrait de la série photos

Interview dans le Journal du Bourget

Comment est né ce projet ?

Au commencement, il y a donc une mère. J’ai quarante-quatre ans et mon fils décide d’arrêter le lycée à dix-sept pour partir faire un bénévolat civique dans une association de voile en Bretagne. Soudain, le vide. Soudain, le manque. Même si on sait l’envol, le passage redouté de la majorité, même si on sait qu’on ne donne pas naissance à des enfants pour les garder avec soi, il n’est pas si courant de les voir quitter le nid à cet âge. Les question affluent. Est-ce ma faute ? Qu’ai-je raté ? Suis-je une bonne mère ? Quelques jours à peine après son départ, je me jette sur nos albums de famille et prends la plume. Je comble l’absence par les mots. C’est un réflexe. C’est un refuge. C’est une arme. Je suis photographe et écrivaine et ces deux identités, ces deux moyens d’expression, m’aident à traverser le monde et à jongler avec le temps. La photo m’ancre dans le présent, en lien avec les autres, et l’écriture me plonge dans le passé, en moi. A cette époque, je vois d’ailleurs dans cette immersion littéraire une sorte de moyen pour vivre encore avec mon fils. J’écris donc ce que ces photos de famille disent de moi, de nous. J’écris mes joies. J’écris mes peines. J’écris mes regrets. J’écris mes espoirs. J’essaie de comprendre. Et j’en fais un livre, mon quatrième roman*, ainsi qu’un projet photo (« Ce qu »il faut d’air pour voler », voir plus loin), m’appuyant sur les photos invisibles décrites dans le livre et les détourant, pour incruster dans les parties désormais vides mes souvenirs écrits à la main.

Mais ma tristesse ne passe pas. Je suis aussi photographe portraitiste, j’ai été photographe de presse pendant une quinzaine d’années, et j’aime me frotter au réel. J’aime que le collectif vienne en échos à l’individuel. Me vient alors l’idée d’entrer en lien avec d’autres mères pour confronter nos expériences. Ce que je veux, c’est questionner l’identité maternelle et les particularités de la relation mère-fils. Photographier ces femmes de tous âges, de tous milieux sociaux, de toute situation familiale, avec leur garçon, pour tenter de saisir ce qui se joue entre eux. Et mettre ainsi en scène une foule de mères qui intègre chaque visiteur, chaque visiteuse, à hauteur d’yeux pour favoriser la rencontre et provoquer un moment d’intimité dans un esprit de partage et de sororité.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai commencé seule ce projet. Par instinct de survie. Par besoin de lien aussi. Un jour, j’ai demandé à mes amies, aux mères des copains de mon fils, de poser pour moi avec leur garçon. Puis j’en ai parlé à mon ami photographe, Philipe Bréson, qui m’a fait rencontrer Arnaud Lévènes de la galerie La Capsule. Tous les deux ont été emballés et m’ont proposé de développer mon travail sur le territoire de la Seine-Saint-Denis.

J’ai alors créé un dispositif simple. A travers une petite annonce affichée dans des groupes facebook, à la Médiathèque Le Point d’Interrogation et dans le journal du Bourget, j’ai lancé un appel à participation et recruté des mères et des fils issus des différentes communes de Seine-Saint-Denis et de Paris pour représenter la diversité sociale et culturelle. Dans un premier temps, je les ai interrogés pour tenter de cerner leur chemin de vie mais aussi leur relation, interrogeant d’abord l’enfant pour qu’il ne soit pas influencé, puis l’adulte. Une démarche essentielle pour appréhender l’échange sans biais. Soudain, j’étais au cœur de leur foyer, de leur histoire familiale, de leur parcours et de leurs pensées. Bout par bout, le lien se déroulait devant moi. Il y avait des incompréhensions qui émergeait, des bons moments qui les faisaient à nouveau rigoler, des mots jamais prononcés. Je notais des ressemblances, des différences, des idées de photos. C’était beau et émouvant.

Dans un deuxième temps, je les ai photographiés au 35 millimètres pour intégrer leurs mouvements, leur rapprochement ou leur éloignement, dans le décor familial choisi en parallèle de notre discussion. Des portraits en pied qui les positionnaient dans l’espace pour mieux dévoiler leur lien psychologique et leur distance affective. Même lorsqu’on finissait par aller en bas de leur immeuble, je leur donnais rendez-vous chez eux. J’avais besoin de vérifier qu’ils étaient prêts physiquement mais aussi mentalement à partager leur intimité avec moi. Le pacte était là. Il fallait qu’ils soient d’accord pour m’ouvrir leur porte et pour ne pas se cacher derrière la neutralité d’une relation mère-fils prétendument parfaite. Pendant la prise de vue, je leur demandais aussi de ne pas me regarder et de se concentrer sur ce qu’ils venaient de de se dire (voire sur quelque chose qu’ils ne s’étaient encore jamais dit). Je scrutais la proximité de leurs corps, les changements d’équilibre, la ronde des regards… Et la magie a opéré. Le chœur des mères et des fils s’est formé, puissant et solidaire.

Quel est votre parcours ?

D’origine espagnole par mon arrière-grand-mère, j’ai passé mon enfance à Toulouse, fait mes études à Bordeaux, et ma vie, depuis presque trente ans, à Paris. Après un bac trop scientifique, une classe trop préparatoire, une école trop commerciale et un premier emploi trop salarié, je suis devenue journaliste free-lance puis très vite photographe après un voyage au Pérou qui m’a permis de comprendre que je voulais être libre. J’ai commencé à piger pour Livres Hebdo, 20 Minutes, Le Nouvel Observateur, puis j’ai intégré pendant quatre ans la rédaction du Journal du Dimanche comme reporter-photographe. Une aventure passionnante mais encore trop cloisonnée pour moi que j’ai quittée pour me consacrer définitivement à mes projets artistiques autour de l’écriture et de la photo.      

Que ce soit avec les images ou avec les mots, je m’intéresse avant tout aux questions d’identité, de liens familiaux et intimes, de transmission et d’émancipation féminine et adolescente. Depuis 2010, j’ai publié cinq romans (qui mettent en scène la transmission mère-fille dans une famille sans père, une naissance non désirée, la peur d’aimer d’un jeune couple mixte ou la dernière nuit de la photographe américaine Diane Arbus) et deux livres de photos (qui célèbrent des artisans d’art ou des personnalités du monde de la culture attachées à leur jardin). J’ai aussi mené plusieurs résidences photographiques et littéraires (sur le regard sexué des adolescents ou encore leur rapport à la famille), aboutissant à des expositions, notamment à Bobigny, à Epinay-sur-Seine, à Paris et au Bourget.

C’est dans le cadre de l’une d’elle que j’ai eu la chance de pouvoir développer ce projet en parallèle de la sortie de mon avant-dernier roman « Ce qu’il faut d’air pour voler » (éditions Le Passage), qui raconte le blues d’une maman qui voit son fils partir de la maison pour vivre sa vie…

L'exposition