Ce qu’il faut d’air pour voler
« Comment la gamine de vingt-trois ans qui pose avec ton père sur sa photo de mariage peut-elle se réveiller ce matin dans la peau d’une femme de quarante-trois ans, sans homme et sans enfant ? Suis-je toujours la même que celle qui t’a donné naissance ? Y a-t-il en moi un noyau inaltérable, petite pile d’os sur laquelle m’appuyer pour continuer mon chemin, ou n’ai-je été sculptée que dans le souffle de nos respirations mêlées et tout est à recommencer ? Comment me suis-je débrouillée pour être la mère d’un nouveau-né, d’un enfant, d’un adolescent ? Me suis-je transformée dans le galop de tes pas ? »
Extrait du roman « Ce qu’il faut d’air pour voler »,
Sandrine Roudeix, éditions Le Passage
Préambule
Au commencement, il y a une mère. J’ai quarante-quatre ans et mon fils décide d’arrêter le lycée à dix-sept pour partir faire un bénévolat civique dans une association de voile en Bretagne. Soudain, le vide. Soudain, le manque. Même si on sait l’envol, le passage redouté de la majorité, même si on sait qu’on ne donne pas naissance à des enfants pour les garder avec soi, il n’est pas si courant de les voir quitter le nid à cet âge. Les question affluent. Est-ce ma faute ? Qu’ai-je raté ? Suis-je une bonne mère ? Quelques jours à peine après son départ, je me jette sur nos albums de famille et prends la plume. Je comble l’absence par les mots. C’est un réflexe. C’est un refuge. C’est une arme. Je suis photographe et écrivaine et ces deux identités, ces deux moyens d’expression, m’aident à traverser le monde et à jongler avec le temps. La photo m’ancre dans le présent, en lien avec les autres, et l’écriture me plonge dans le passé, en moi. A cette époque, je vois d’ailleurs dans cette immersion littéraire une sorte de moyen pour vivre encore avec mon fils. J’écris donc ce que ces photos de famille disent de moi, de nous. J’écris mes joies. J’écris mes peines. J’écris mes regrets. J’écris mes espoirs. J’essaie de comprendre. Et j’en fais un livre, mon quatrième roman*, ainsi que ce projet photos.
Dans ce travail, je voulais isoler une vingtaine de photos de famille, afin de retracer vingt ans de fusion et de défusion avec mon fils. Détourées, retraitées, incrustées d’extraits de mon roman autobiographique, les œuvres interrogent la construction et la déconstruction de la relation mère-fils de la naissance à l’âge adulte et remplissent de mots (au sens propre) le vide éprouvé lorsque mon garçon a quitté la maison. Sur certaines images, les décors s’effacent derrière le texte au profit de notre duo qui prend toute la lumière. Sur d’autres, ce sont les corps qui disparaissent, débordés par l’alphabet des souvenirs.
Exposition à la galerie La Capsule, Le Bourget, mars-avril 2023